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PRESQUE INUTILES CONTRE LA DOULEUR, LES ANTI-INFLAMMATOIRES?

JEAN-FRANÇOIS CLICHE jfcliche@lesoleil.com

L’AFFIRMATION

« Il y a environ un mois, on m’a prescrit des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et des analgésiques sans ordonnance pour soulager des douleurs causées par la déchirure d’un tendon. Mais je suis tombé par la suite sur une vidéo YouTube du physiothérapeute Denis Fortier dans laquelle il affirme que l’efficacité des AINS n’aurait été démontrée que par très peu d’études et qu’en plus, cette efficacité est vraiment très faible — il parle d’une réduction de la douleur de seulement 7 points sur une échelle de 100. Est-ce-vrai ? » demande Pierre Larochelle.

LES FAITS

Denis Fortier est un physiothérapeute québécois qui anime une chaîne YouTube [bitly.ws/BEMe] très populaire, avec plus de 600 000 abonnés, et qui a écrit plusieurs livres. Quelques-uns des chercheurs avec qui j’ai échangé pour cette chronique, par courriel ou en entrevue, m’ont d’ailleurs dit qu’il est généralement une source fiable d’information en santé — il fait de bonnes revues de la littérature scientifique, résume bien les études, ne tente pas de vendre des produits, etc.

Mais certains passages de sa vidéo La vérité sur l’obsession anti-inflammatoire [bitly.ws/BEMc], qui date de 2020, ont quand même fait tiquer les experts que j’ai contactés. Essentiellement, M. Fortier y dit que l’inflammation fait partie du processus normal de guérison (c’est 100 % vrai), que les anti-inflammatoires non-stéroïdiens viennent avec des effets secondaires (aussi vrai, surtout quand on les prend à long terme) et que leur efficacité pour soulager les douleurs musculo-squelettiques est faible, ou mal démontrée. C’est ce dernier point qui semble plus problématique.

Les études que M. Fortier cite à l’appui existent bel et bien, et elles disent grosso modo ce qu’il décrit — dont le fameux « seulement 7 points de moins de douleur en moyenne [bitly.ws/BGJD] sur une échelle de 1 à 100 ». Mais le hic, fait remarquer Pascal Tétreault, spécialiste de la douleur de l’Université de Sherbrooke, est « qu’il y a tellement de littérature scientifique là-dessus [ce qui est normal pour un type de médicaments qui existe depuis longtemps et qui est très utilisé, ndlr] que tu peux trouver ici et là des études qui sèment un peu plus le doute que les autres ». Il semble que M. Fortier ait retenu surtout de cette sorte de travaux là, sans tenir compte du reste.

« À 3 m 50s de la vidéo, il dit que « la réponse [à la question de savoir si les AINS sont efficaces] est généralement non », mais ça me dérange parce qu’il n’a pas ce qu’il faut pour tirer une conclusion aussi forte que ça. En fait, la réponse est plutôt oui », dit M. Tétreault.

En outre, ajoute-t-il, « la vidéo ne fait pas la distinction entre la douleur aigüe et la douleur chronique, alors que ce sont deux choses très différentes. La douleur aigüe, c’est un signal d’alarme du corps qui peut durer quelques semaines et pour ce type de douleur là, les AINS marchent assez bien. Mais passé 10 ou 12 semaines, ça devient de la douleur chronique, c’est une maladie en soi et pour ces douleurs-là, l’effet des anti-inflammatoires est moins clair ».

Même son de cloche du côté de Dr Frédéric Balg, chirurgien orthopédiste et clinicien-chercheur à l’Université de Sherbrooke : « Quand c’est l’inflammation qui cause la douleur, ce sont souvent des douleurs aigües, par exemple après une déchirure de ligament ou une fracture. C’est une partie normale de la récupération, mais ça peut être très douloureux. Les AINS marchent bien dans ces cas-là. Mais quand on est rendu sur une douleur à long terme, là leur efficacité est beaucoup moins claire. »

Comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont utilisés depuis longtemps, les médecins ont fini par en prescrire pour toutes sortes de douleurs, ce qui a mené des gens à en prendre de manière continue et à long terme — et parfois à fortes doses. C’est ce qui a permis de réaliser que la consommation chronique d’AINS était associée à plusieurs effets néfastes, notamment des problèmes gastriques et une petite

augmentation du risque cardiaque.

« M. Fortier a raison de dire qu’il ne faut pas prendre ces médicamentslà sur le long terme, dit Dr Balg. […] Ces risques supplémentaires là sont minimes, mais ils existent. Mais ça veut juste dire que si on a un patient qui a déjà plusieurs facteurs de risque cardiaque, on ne lui en ajoutera pas un de plus en lui prescrivant des AINS, on va prendre autre chose. »

Dr Balg donne aussi raison à M. Fortier sur la grande importance de recommencer à bouger quand on se remet d’une blessure. Mais il ajoute qu’en réduisant la douleur, les anti-inflammatoires peuvent justement y aider.

LE VERDICT

Incomplet. M. Fortier dit plusieurs choses vraies dans sa vidéo — ses capsules, je le répète, sont généralement de très bonne qualité. Mais dans La vérité sur l’obsession anti-inflammatoire, il n’a présenté qu’une partie des études disponibles et escamoté des nuances importantes, comme la distinction entre douleur aigüe et douleur chronique, ce qui donne la fausse impression que les AINS sont généralement très peu efficaces.

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2023-03-18T07:00:00.0000000Z

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