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Râteaux et pelures de banane

MICKAËL BERGERON CHRONIQUE mickael.bergeron@latribune.qc.ca

Une de mes scènes préférées des Simpson est celle où Sideshow Bob mange des coups de râteaux au visage au moindre pas qu’il fait, parce que le sol est parsemé de râteaux. Chaque déclaration de François Legault sur le salaire des parlementaires ressemble à ces râteaux. Grognements inclus.

Plus le premier ministre tente de justifier l’augmentation de salaire des députés et députées, plus il s’enfarge. Oups, l’argument ne marche pas, il se tourne et en essaie un autre. Oups, ça ne passe pas encore. Et il quitte le Salon bleu furieux de devoir se justifier encore et encore.

J’aurais pu aussi parler de s’auto-pelure-de-bananiser, cette savoureuse et sous-utilisée expression de Jacques Parizeau, mais il y manque le côté bougon du premier ministre devant les embûches.

Tenez, une des plus récentes déclarations, faites à l’Assemblée nationale : « Un père de famille, un jeune père ou une mère de famille a le droit d’aller gagner le plus d’argent possible pour donner le plus possible à ses enfants. C’est comme ça que je vois la vie. »

Aller chercher la corde sensible des enfants, c’est une carte facile, personne n’est contre la vertu, comme on dit. Mais pourquoi cet argument ne prévaudrait que pour la députation ? En quoi cet argument, s’il en est un, ne pourrait-il pas servir aussi pour la hausse du salaire minimum ? Pour les infirmiers et infirmières ? Pour les profs ? Pour les fonctionnaires ? Pour les baristas ? Pour les poètes ?

Petit rappel d’une évidence, personne n’oblige personne à se présenter en politique.

Je pourrais aussi parler de la déclaration de Bernard Drainville, offusqué qu’on compare son salaire à celui des profs. La déclaration du whip, Éric Lefebvre, qui se dit tellement occupé qu’il n’arrive pas à voir sa mère. Le salaire ne changera rien à son agenda ou à ses priorités.

Du monde qui a deux jobs (ou plus) pour arriver et qui n’arrive pas à voir sa mère, il y en a plus qu’on pense. Dans leur cas, un meilleur salaire les aiderait pour vrai.

Simon Jolin-Barrette a peutêtre l’approche la moins houleuse en refusant de répondre aux questions pendant l’étude du projet de loi. Pas très démocratique, mais ça évite les déclarations douteuses.

CLASSE MOYENNE

Le premier ministre se défend souvent d’être le défenseur de la classe moyenne et aime rappeler qu’il vient d’un milieu modeste, mais tout ce débat rappelle à quel point il ne sait plus c’est quoi être dans la classe moyenne depuis longtemps.

Toujours en chambre, François Legault a parlé d’avoir une rémunération compétitive. Compétitif par rapport à quoi ? La comparaison ne vise sûrement pas la classe moyenne.

Un enseignant au dernier échelon qui deviendrait député, comme l’était Jean-François Roberge avant d’être ministre, aurait une augmentation salariale d’environ 40 000 $ avec la hausse souhaitée — sans parler de l’allocation de dépenses.

Bien sûr, quand il parle d’être compétitif, le premier ministre fait allusion au monde des affaires, celui dont il se réclame.

D’ailleurs, l’IRIS rappelait qu’un ministre sur trois du gouvernement Legault venait du monde des affaires (30 %), et presque une personne sur cinq (17 %) du secteur privé. Donc presque la moitié (47 %) du conseil des ministres vient de l’entrepreneuriat, de cabinets privés ou de la gestion.

En comparaison, ces deux secteurs représentaient le tiers du conseil des ministres de Philippe Couillard (36 %) et seulement 4 % du gouvernement Marois.

C’est sûr que si on compare le salaire des député-es aux salaires que pouvaient faire les Fitzgibbon, Dubé, Girard, Duranceau, Fréchette ou Carmant, ça donne l’impression d’un sacrifice financier pour le service public.

Mais est-ce vraiment le bon baromètre ? Faut-il comparer le salaire d’une ou d’un député à celui d’un PDG d’une multinationale ou d’un vice-président d’un groupe d’investissements ? Ou faut-il plutôt le comparer au coût de la vie et au salaire moyen ?

Rappelons que pour déterminer le salaire minimum, le gouvernement ne se fie pas aux meilleurs salaires ni au coût de la vie. C’est bêtement un ratio de 50 % du salaire moyen, même si le résultat maintient les personnes en situation de pauvreté.

Si c’est bon pour pitou, ça doit être bon pour minou ? Tiens, pourquoi pas deux fois le salaire moyen (56 000 $) pour un ou une députée ? Ça donnerait un revenu annuel de 112 000 $. Ce qui serait plus que les 101 000 $ actuels, mais moins que les 132 000 $ projetés. Et ça aurait l’avantage de suivre l’inflation.

Je ne dis pas que c’est ça la meilleure idée ou la meilleure option, je veux simplement démontrer le côté arbitraire de tout ça. À quel point nous sommes devant deux poids deux mesures. Que l’argumentaire choisi par le gouvernement change selon les situations.

Le pire, c’est que je ne suis pas contre le principe d’un salaire de

132 000 $ pour les député-es, même si je ne pense pas que

101 000 $ soit insuffisant pour autant.

Le problème est vraiment dans la manière dont le gouvernement traite cette augmentation. Le gouvernement est à la fois juge et parti. Il trouve qu’il ne gagne pas assez et il se vote lui-même une augmentation de 30 %. Le processus ne fonctionne pas.

Il aurait pu échelonner cette augmentation sur quelques années, la mettre en place pour la prochaine élection, comme le propose Québec solidaire et appuyé par le Parti québécois, proposer une formule réellement indépendante de A à Z et qui aurait enlevé tout malaise.

À la place, on a droit à de l’arrogance, à des réponses creuses, à des argumentaires boiteux, à des égos insultés que des gens remettent en question cette augmentation salariale.

C’est tellement important pour François Legault qu’il est prêt à forcer l’adoption de la loi pour avoir l’augmentation. Qu’est-ce qui presse tant que ça ?

Personne à l’Assemblée nationale ne vit dans la misère. Il n’y a aucune urgence.

Si j’étais cynique, je dirais que le gouvernement veut l’adopter rapidement en espérant que la population l’oublie d’ici la prochaine élection, voire pendant l’été.

Mais avec cette attitude, j’ai l’impression qu’il va rester quelques pelures de banane et quelques râteaux sur le chemin de la CAQ.

CHRONIQUES

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2023-05-27T07:00:00.0000000Z

2023-05-27T07:00:00.0000000Z

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