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« CLÉMENCE DANS CHACUNE DES PAGES »

STEVE BERGERON steve.bergeron@latribune.qc.ca

Une nouvelle biographie de Clémence? Voilà qui pourrait étonner. Pas seulement parce que la défunte auteure et journaliste Hélène Pedneault avait déjà publié un tel ouvrage en 1989 (Notre Clémence, tout l’humour du vrai monde), aux éditions de l’Homme — le livre avait même été retravaillé, augmenté et réédité par Danièle Bombardier en 2013, sous le titre Notre Clémence, d’amour et d’humour.

Non, la surprise vient du fait que l’artiste bientôt nonagénaire n’avait pas particulièrement aimé l’expérience. Regarder vers le passé ? Rien d’intéressant pour une créatrice invétérée comme Clémence, toujours en train de penser au prochain poème, monologue, dessin ou spectacle. Au contraire, l’auteure, poète et humoriste était plutôt du genre à brûler ou à égarer ses vieux cahiers de notes. N’eût été sa fidèle amoureuse Louise Collette, qui a évité plusieurs incinérations, les archives nationales, désormais gardiennes des manuscrits, auraient hérité d’un maigre butin.

Ajoutez la « dévotion » d’Hélène Pednault, qui pouvait téléphoner plusieurs fois par jour pour obtenir une date ou un détail. Bref, on aurait pu présumer que Clémence aurait opposé un non formel à une expérience similaire.

Mais Mario Girard, journaliste et chroniqueur à La Presse, et surtout grand admirateur de la Sherbrookoise d’origine, rapporte n’avoir eu aucun mal à persuader Clémence DesRochers de publier Clémence, encore une fois, paru le 16 mars. Il faut dire qu’il avait su rassurer sa nouvelle amie grâce à l’émission spéciale Clémence pour toujours, une entrevue de deux heures qu’il a menée avec la fille d’Alfred et qui a été diffusée à Ici Première le 20 novembre 2021.

« Ça a été le point de départ. Clémence s’était vraiment bien racontée, avec beaucoup de générosité.

Il y a une relation d’amitié et une confiance qui se sont développées à partir de là. Elle a perçu que je l’aimais, que je lui posais des questions nourries par son parcours… et elle m’a prévenu qu’elle n’avait pas la mémoire des dates. Clémence, elle a la mémoire des émotions. »

« Hélène avait fait une biographie plus classique, poursuitil, avec presque une analyse de l’oeuvre de Clémence. Danièle avait notamment ajouté des témoignages. Moi, j’avais envie de faire ma propre mise en scène. Je n’ai donc pas tenu compte du premier livre et, comme je suis journaliste, je me suis tourné vers les journaux, pour reconstituer le fil de sa carrière. Les seules personnes à qui j’ai reparlé sont Louise Latraverse, Pascale Montpetit, Marie-Michèle Desrosiers et les frères Larochelle [Marc et Denis, compositeurs de certaines des chansons les plus connues de Clémence]. »

Clémence DesRochers et Mario Girard ont aussi convenu que cette nouvelle biographie serait également un « bel objet ». D’où l’abondance de photos (l’auteur s’est efforcé de choisir des clichés inédits ou peu vus), de coupures de journaux, de poèmes, de textes de chansons et de monologues, de dessins, même de lettres manuscrites, dont certaines retrouvées dans le fonds Alfred-DesRochers, à la BAnQ de Sherbrooke.

POINTS DE BASCULE

Qui plus est, Mario Girard a suggéré à Clémence une biographie construite essentiellement sur les archives journalistiques de ses six décennies de métier. Pas besoin, pour elle, de refaire de longues entrevues où elle aurait peiné à se rappeler les épisodes oubliés.

« C’est donc Clémence qui parle dans la plupart des citations, car je voulais qu’on la sente dans chacune des pages. On voit ainsi l’évolution de sa pensée. »

Mario Girard a notamment trouvé certains moments plus tristes, comme la noyade de Germain DesRochers, qui a défrayé la manchette de La Tribune pendant quatre jours, en novembre 1936. Clémence n’avait que trois ans lorsque son frère, de quatre ans son aîné, est tombé dans la rivière Magog. Le garçonnet s’est probablement aventuré sur la glace trop mince en allant glisser sur une côte bordant la rivière. Disparu le vendredi, il a été retrouvé sans vie le dimanche.

« C’était vraiment bouleversant. C’est un élément important dans la trajectoire de Clémence, même si elle n’en a pas de souvenir, car, elle le dit elle-même, c’est à ce moment que son père bascule, qu’il devient un peu fou et se met à boire. Quelques années plus tard, la famille va déménager [de la rue George] à la rue du Pacifique [juste à côté de la filature qui inspirera La vie de factrie]. »

Mario Girard a également retrouvé la publicité d’un spectacle de Juliette Béliveau, à la salle paroissiale de l’église SainteJeanne-d’Arc, auquel Clémence a assisté alors qu’elle n’avait que sept ans. Pour le biographe, il s’agit aussi d’un point de bascule, puisque c’est là que s’installe, dans la tête de la petite fille, l’idée que l’on peut vivre de la scène, avoir des projecteurs sur soi et s’approprier une vie plus belle.

« Elle croit se rappeler qu’elle y était allée toute seule, car ses parents laissaient leurs enfants très libres, mais son souvenir est assez vague. Alors elle m’a dit : imagine-le ! Ce chapitre est donc une fiction, mais j’avoue avoir pris un énorme plaisir à reconstituer le moment », rapporte l’auteur, flatté d’une telle confiance.

FORCE DE LA NATURE

Avec Clémence, encore une fois, Mario Girard souhaite naturellement apporter sa pierre à l’édifice pour que la voie tracée depuis 1957 par Clémence DesRochers ne soit pas oubliée, surtout par les plus jeunes, insiste-t-il dans la dédicace.

Le biographe espère également mettre en évidence la ténacité de la créatrice, en dépit des salles presque vides des débuts, avec des spectateurs qui sortaient fumer lorsqu’elle entamait une pièce plus triste de son répertoire.

Ce n’est qu’avec l’arrivée de Louise comme gérante, puis la chanson Le monde aime mieux Mireille Mathieu, au milieu des années 1970, puis sa présence à la télé dans l’émission de services Les trouvailles de Clémence, que le succès s’est installé définitivement.

« J’ai réalisé à quel point cette femme ne l’a pas eue facile et a travaillé fort. Mais quand je lui disais "mon Dieu que tu as travaillé !", elle me répondait "ben pas tant que ça…" Je suis pourtant tombé sur des périodes où elle faisait du cabaret, de la télé, de la tournée… Elle n’arrêtait pas. Elle avait une énergie, une volonté et une détermination incroyables. D’autres auraient abandonné. C’est vraiment une force de la nature. Et tout ça, la plupart du temps, en étant la seule fille du groupe. Mais pour elle, c’était comme naturel… »

ARTS ET SPECTACLES

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2023-03-18T07:00:00.0000000Z

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