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SOINS À DOMICILE : À PRENDRE OU À LAISSER C’

MYLÈNE MOISAN mmoisan@lesoleil.com

est la nouvelle obsession du gouvernement, on veut offrir plus de soins à domicile à plus de personnes pour qu’elles puissent rester à la maison plus longtemps. Mais encore faudrait-il être capable de répondre à la demande, avant d’en promettre plus.

La charrue est devant les boeufs. Avant de mettre la pédale au fond pour prendre le virage des soins à domicile, le gouvernement doit d’abord s’assurer qu’on donne de bons soins, en quantité suffisante, à ceux qui en reçoivent. Et ce n’est pas toujours le cas. « J’ai vu passer des dizaines et des dizaines de personnes différentes pour venir faire les soins, il y en a qui n’ont pas les compétences nécessaires, qui ont très peu de formation », surtout quand ce sont des agences, déplore une personne qui reçoit depuis quelques années des soins à domicile.

On met ça, évidemment, sur le dos — large — de la pénurie de main-d’oeuvre, pareil quand on dit à une femme âgée, qui ne veut pas qu’un homme entre dans son intimité, qu’elle doit l’accepter ou se passer de soins. Si elle refuse, elle passe son tour, il ne lui reste qu’à espérer qu’une femme soit disponible pour son prochain soin.

Ce n’est pas un caprice, c’est un droit de pouvoir décider qui peut nous passer une débarbouillette entre les jambes. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans l’article 10 de la Loi sur les services de santé et de services sociaux : « Tout usager a le droit de participer à toute décision affectant son état de santé et de bien-être. Il a notamment le droit de participer à l’élaboration de son plan d’intervention et de son plan de services individualisé. »

Dans les faits, les volontés de certains usagers ne sont pas respectées. De ceux-là, il y a des femmes qui ne se sont jamais dénudées devant un autre homme que leur mari. « On leur dit : “Si vous n’acceptez pas, vous n’avez pas de soin.” C’est ça ou rien, c’est épouvantable ! » C’est à prendre ou à laisser. Le gouvernement se targue d’augmenter le nombre d’heures de soins à domicile, mais ce qu’il dit moins, c’est que la demande est si forte qu’au bout du compte, des personnes en reçoivent moins. Et ce, quand elles parviennent à en obtenir après des mois et des mois passés sur la liste d’attente, faute de ressources.

Dans une lettre publiée dans Le Devoir le 6 août 2022, le travailleur social David Bergeron s’insurgeait contre ce miroir aux alouettes : « Quand on compte plusieurs centaines de personnes en attente d’une évaluation pour une prise en charge de leur situation, est-il honnête de laisser croire à la population qu’elle peut compter sur des services de soutien à domicile publics, comme le veut la politique “Chez soi : le premier choix” élaborée par le ministère de la Santé en 2003 ? »

Il déplorait des temps d’attente pouvant atteindre trois ans.

Le gouvernement a annoncé en mai 2021 l’ajout de 750 millions $ sur cinq ans pour le soutien à domicile, il devrait faire le ménage avant de flamber tout cet argent. Un grand ménage. « Tout le monde parle de soutien à domicile, mais personne ne se parle ou ne se coordonne », déplorait le 3 mars J. Benoit Caron, DG du Réseau de coopération des Entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EESAD) « […] Sans objectifs communs, nous avançons à l’aveugle et rarement dans la même direction. »

À l’aveuglette aussi, parfois. « Il n’y a jamais personne n’a communiqué avec moi pour savoir si les services que je reçois sont corrects, il n’y a aucune évaluation qui est faite, déplore cette personne qui a vu défiler des dizaines de préposés. Il devrait y avoir un mécanisme de contrôle auprès des usagers pour savoir si les soins qui sont donnés sont OK. »

Ce serait la moindre des choses.

Lors de l’annonce des 750 millions $, la ministre responsable des aînés à l’époque, Marguerite Blais, précisait que « 96 % de nos aînés [au Québec] sont soit à domicile ou en RPA [résidences pour aînés] » dans la province. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, disait vouloir leur « offrir des services qui répondent à leurs besoins, à leurs valeurs et à leurs choix de vie ».

On ne voit plus la planche, tellement il y a du pain dessus.

Au CIUSSS (Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux) de la CapitaleNationale, la porte-parole Annie Ouellet m’a informée par courriel qu’il y a « chaque année, environ 35 274 usagers [qui] reçoivent des soins à domicile ».

Les gens se plaignent peu. Mme Ouellet fait état de 389 plaintes depuis quatre ans par rapport à certains motifs, mais sans avoir le nombre par an, donc sans savoir si elles augmentent ou diminuent. « Voici les principaux motifs et nombre de plaintes du 1er avril 2018 au 31 mars 2022 : soins et services dispensés, 85 ; organisation du milieu et ressources matérielles, 100 ; relations interpersonnelles, 92 ; accessibilité, 57 ; droits particuliers, 55. »

Peut-être faudrait-il prendre les devants pour savoir s’ils sont satisfaits, comme vient d’annoncer le ministre Dubé pour les urgences.

J’ai voulu aussi savoir si des gens devaient se passer de soins quand ils n’étaient pas à l’aise avec la personne qui leur est proposée. « Selon la situation, il est possible de faire une demande de changement à son infirmière pivot, à son travailleur social ou au gestionnaire responsable. Nous sommes toujours sensibles et ouverts à ce type de demande qui nous est adressée. »

Sur le terrain, il semble que ce ne soit pas aussi simple. « On se fait dire qu’on doit prendre ce qui est disponible, peu importe les volontés de la personne. C’est un manque de respect et d’humanité, c’est un raisonnement de fonctionnaires. »

Avant de faire plus, il faut faire mieux.

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