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LES BANQUES, ON LES DÉTESTE, MAIS ON NE S’EN PASSERAIT PAS

DANIEL GERMAIN CHRONIQUE dgermain@cn2i.ca

On vous a suffisamment cassé les oreilles avec ça cette semaine, si seulement le sujet pouvait être palpitant : les banques. J’y reviens pareil.

Avant de me lancer, je suis sorti marcher en quête d’inspiration dans mon quartier où j’ai croisé par hasard mon ami Jean, il avait rendez-vous à plus de 100 kilomètres de chez lui.

— Sur quoi ta prochaine chronique ?

— Le système bancaire. — Ouache !

On peut toujours compter sur un ami pour donner l’impulsion. Ça ne fait pas vibrer personne, les banques, quoique l’actualité en a fait trembler quelques-uns cette semaine.

Il a beaucoup été question des « effets de contagion », des « risques systémiques », du « spectre de la crise de 2008 », tout ça à cause d’une banque américaine régionale spécialisée qui s’est retrouvée les culottes à terre. Je me suis dit : « Daniel, pourquoi n’expliqueraistu pas le fonctionnement de ça, que ton lecteur puisse prendre la mesure du phénomène et qu’il comprenne pourquoi on ne lui offre pas 3 % d’intérêt sur son compte chèques. » Pas certain… Je me suis entêté. Alors voilà. Les banques, donc. La vision la plus sympathique qu’on puisse s’en faire s’incarne dans une blonde vêtue d’un tailleur bleu qui, entre deux intrigues de STAT, nous promet des économies sur des forfaits bancaires ou des bons deals sur les prêts hypothécaires. Une fois passée la publicité nous revient l’image moins séduisante d’une société oligopolistique qui verse de maigres intérêts sur nos comptes et qui facture des taux élevés sur nos crédits.

Ça résume assez bien l’activité principale d’une banque (j’inclus ici Desjardins) : elle récolte nos dépôts et prête cet argent à quelqu’un d’autre, à un taux d’intérêt plus élevé. L’écart de taux (le spread), c’est le pain et le beurre d’une institution financière. Une fois le prêt accordé, où vont les dollars ? Ils retourneront rapidement dans un autre compte de banque, pour être prêtés une nouvelle fois. Voyez quand même comment c’est fascinant, il se produit un effet multiplicateur : le même argent est prêté plusieurs fois.

Devant mon émerveillement, Christophe Faucher-Courchesne me ramène sur terre : « C’est un principe de base en économie, la vélocité de la monnaie. Pense aux 100 $ que tu donnerais au plombier pour régler une fuite chez toi, et à ce dernier qui paie 100 $ au garagiste le lendemain pour réparer son auto, qui les refile à son tour à quelque d’autre, pour un autre service… » énumère l’ingénieur financier, conseiller principal au Centre d’expertise chez Banque Nationale Gestion 1859.

Ooooh ! 300 $ de services, inscrits au PIB, avec le même billet brun…

Revenons à nos oignons. « Le travail d’une banque est d’utiliser les dépôts à court terme, puis de se retourner pour faire des prêts à plus long terme. C’est une difficulté. Autre enjeu : les prêts peuvent être plus ou moins risqués. L’institution ne récupérera pas une partie de ses prêts. Elle doit donc jongler entre des échéances et des risques », explique Christophe Faucher-Courchesne.

Si les institutions financières ne paient pratiquement aucun intérêt sur les comptes chèques, c’est entre autres pour ça. Les sommes qui y sont déposées sont plus difficiles à apparier avec les activités de prêts. Moins les dépôts sont susceptibles d’être retirés rapidement, plus la banque sera encline à offrir des intérêts plus élevés. Quand une institution offre des taux promotionnels, c’est souvent pour accroître sa réserve en capital.

Ce qui nous amène au cadre réglementaire. Les banques sont tenues de conserver des actifs liquides, facilement encaissables. Le niveau de cette réserve est déterminé afin de répondre à des scénarios inhabituels de retraits de la part des clients. Si le monde se met à sortir de l’argent des guichets parce que la rumeur d’une visite extra-terrestre se répand dans les médias, une institution financière doit pouvoir tenir le coup un certain temps. Après, c’est le gouvernement qui embarque.

« Pour compenser les risques reliés aux prêts, une banque doit aussi mettre de côté de ce qu’on appelle le “capital réglementaire”. Quand le risque est plus élevé, cette réserve doit être plus importante », poursuit l’ingénieur financier.

Plus une banque est grosse, plus sa défaillance peut affecter le système financier et l’économie. Les exigences en matière de capitalisation sont plus imposantes pour les sociétés qui présentent un risque dit « systémique ». C’est le cas de toutes nos grandes institutions, y compris Desjardins.

Pour une institution financière, une réserve en capital qui dort, ce n’est pas productif. Leur raison d’être, c’est de déployer cet argent de façon à ce qu’il rapporte le plus possible. Les règlements pèsent sur la rentabilité des banques, mais elles sont astucieuses.

Parmi les moyens d’atténuer l’impact du cadre réglementaire, elles recourent entre autres à la titrisation des créances. C’est quoi ça ? Par exemple, les prêts hypothécaires sont mis en commun, coupés en tranches, et revendus sur le marché comme des obligations. L’image qui me vient en tête, c’est le baloney. « En sortant les hypothèques de leur bilan, les prêteurs n’ont plus à conserver le capital réglementaire en parallèle, ce qui libère l’argent qui peut être alloué à des opérations plus payantes », explique Christophe Faucher-Courchesne.

C’est d’ailleurs ce saucisson qui a mené à la crise financière, en 2008, et aux pertes colossales de la Caisse de dépôt, à l’époque. Les titres acquis par cette dernière, des milliards de dollars, étaient contaminés par des subprimes, des créances dont la qualité variait de douteuse à médiocre. (Je vous recommande le film The Big Short — ou Le casse du siècle, en français — qui porte là-dessus)

Votre argent, donc, il n’est pas à la banque, mais c’est important de le croire. Il est dispersé, diffus dans l’espace économique. Si vous êtes capables de faire des transactions et de retirer de l’argent du guichet, c’est parce qu’on ne le fait pas tous en même temps. C’est grâce à une mince couche de liquidités que les banques sont tenues de conserver pour satisfaire les règles, mais surtout, pour que le système fonctionne.

Si vous et moi n’avions pas la conviction de retrouver l’argent qu’on dépose à la banque, on le garderait sous notre matelas. Il n’y aurait plus moyen d’emprunter pour acheter des autos et des maisons, les entreprises ne pourraient plus mener leurs affaires. Bye-bye les plombiers, les garagistes et les autres, il faudra vite réapprendre à faire pousser ses légumes et à élever ses cochons.

Ouache !

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