LEGAULT RACONTÉ PAR...

Vingt-cinq ans que François Legault habite et façonne le paysage politique du Québec. À travers les anecdotes racontées par des amis de longue date, collaborateurs de la première heure, ministres actuels et adversaires en chambre, Le Soleil trace un portr

OLIVIER BOSSÉ obosse@lesoleil.com

2023-09-16T07:00:00.0000000Z

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Groupe Capitales Media

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Tout juste sorti de l’aventure d’Air Transat et avant même d’être élu député, François Legault est fait ministre de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie le 23 septembre 1998. Un mercredi. Ce jour- là, de nouveaux collègues du Parti québécois boudent la cérémonie d’assermentation. Les chroniqueurs du Soleil se montrent dubitatifs. « François qui ? » se questionne Michel David. Feu Michel Vastel demande si le premier ministre Bouchard s’est trompé de Legault ? La journaliste Josée Legault tente au même moment de se lancer en politique. En septembre 1998, un petit plongeur de 13 ans, Alexandre Despatie, éblouit la foule aux Jeux du Commonwealth. Le salaire minimum passe à 6,90 $/h. L’indicatif régional téléphonique 450 fait son apparition. Véronique Cloutier et Patrick Huard sont le couplevedette de l’heure. De son côté, le premier ministre du Québec Lucien Bouchard prépare les élections et remanie son cabinet des ministres. Le reste appartient à l’histoire. 50 ANS DEPUIS LE CÉGEP DANIEL ZIZIAN, AMI, EX-DIRECTEUR DE CABINET À L’ÉDUCATION « On s’est rencontré à la première journée de cégep, dans le cours d’anglais. Je réalise que ça fait 50 ans ! François était plutôt effacé, mais lui savait ce qu’il voulait et ça le motivait beaucoup. « Quand on était à l’Éducation, une présidente de syndicat m’avait dit : “Eh qu’il se fâche vite, le ministre ! Une chance que vous êtes là, vous, M. Zizian, pour calmer les choses”. À la fin de la réunion, j’avais dit à François que quelque chose ne marchait pas et que ce n’était pas ça les rôles de chacun. Mais lui, il prend la chaleur. Il assume, veut que ça avance et prend les appuis qu’il faut pour y arriver. » UN DISCOURS, UNE BLAGUE ANDRÉ BOUTHILLIER, AMI, PREMIER DIRECTEUR DE CABINET À L’INDUSTRIE « François Legault était mon client chez Air Transat. Je suis consultant en relations publiques. C’était un client et il est devenu un ami. « À son premier discours que j’avais écrit, devant 2000 personnes au Palais des congrès, il regarde le monde, descend me voir dans la première rangée et me demande, pas fort : “Est-ce qu’on peut faire une blague dans une conférence ? ” L’adrénaline aidant, je lui ai trouvé quelque chose. Il est remonté sur scène, a fait sa blague et a continué. Il a vite appris. » MAUVAISE NOTE SUR LE BULLETIN RÉMY TRUDEL, EX-DÉPUTÉ ET ANCIEN MINISTRE DU PQ « Quand il arrive à l’Éducation, il décide que les bulletins ne seront plus chiffrés, mais plutôt notés avec des lettres. Le premier ministre, M. Bouchard, était d’une grande attention pour ses fils, alors au primaire. Il lui dit : “Comme ça, je ne pourrai pas savoir à quel rang se situent mes fils parce que toi, le ministre, tu as décidé qu’il n’y a plus de notes ? Les parents vont se débrouiller avec ça ? ” « François Legault s’est rendu compte qu’on peut avoir d’excellentes motivations, mais dans la réalité, ce n’était pas tout à fait ça. Et le ministre a modifié sa trajectoire. » LA PROMESSE À 1 MILLIARD $ LUCIEN BOUCHARD, EX-PREMIER MINISTRE DU QUÉBEC AVEC LE PQ « On a fait plusieurs sommets et ça allait très bien ! On pensait qu’on avait inventé le bouton à quatre trous. Mais on a décidé d’en faire un de trop, sur la jeunesse et l’éducation. Pas parce que l’idée n’était pas bonne, mais ça n’a pas été facile. « Un moment donné, François Legault me dit : “Les jeunes ne sont pas contents, il faut annoncer un investissement de 1 milliard $”. Un milliard de dollars ! On était en déficit zéro, on pratiquait une politique d’austérité. Ce n’est pas un mot qu’on peut utiliser en politique, mais comme je ne suis plus en politique, je peux bien reconnaître qu’on pratiquait une gestion rigoureuse, même austère. Avec des coupes et ainsi de suite. « Ce n’était pas le temps d’aller investir 1 milliard $, comme ça bang ! , parce qu’il y avait un sommet. Mais on l’a fait. Et ça a été très bénéfique pour l’ensemble du réseau scolaire. François Legault nous avait convaincus. » BRUIT DE DÉCHIQUETEUSE FRANÇOIS BONNARDEL, DÉPUTÉ DE L’ADQ, PUIS DE LA CAQ, MINISTRE « J’étais jeune adéquiste et venais d’être élu. On filibustait [faire de l’obstruction parlementaire] le projet de loi 40 des libéraux sur le retour à l’équilibre budgétaire. Raymond Bachand était ministre des Finances. Le PQ avait toute une équipe à la commission des finances publiques. Alors quand ça filibustait, ça filibustait pas pire. « Un moment donné, pendant que François Legault s’obstinait avec Raymond Bachand, on entend une photocopieuse. Mais ça sonnait comme une déchiqueteuse ! Et là, François Legault dit : “Le ministre est en train de déchirer son projet, en arrière ! ”La foire a pris ! Et nous, on avait un fun noir à le regarder travailler. De voir François Legault comme critique aux finances, j’ai appris mon travail comme ça. » BACHAND TAILLÉ EN PIÈCES LOUISE BEAUDOIN, EX-DÉPUTÉE ET ANCIENNE MINISTRE DU PQ « J’étais assise à côté de lui en 2008 et 2009. Il n’a fait qu’une bouchée de Raymond Bachand [ministre libéral des Finances]. Il y avait un programme qui s’appelait FIER [Fonds d’intervention économique régionale] avec des affaires pas d’allure là-dedans. François s’était mis à éplucher le programme, pour voir à qui on avait accordé des fonds. « Jour après jour, Raymond était comme tétanisé. Et François était redoutable. Il l’a mis en pièces pendant des semaines, jusqu’à ce qu’il change de conseiller en communication. Mais François s’amusait en faisant ça. C’était drôle, pas trop méchant et terriblement efficace au plan politique. » MATANE, JE TE QUITTE PASCAL BÉRUBÉ, DÉPUTÉ DU PQ ET EX- CONSEILLER À L’ÉDUCATION « Je le connais depuis 1998. J’étais dans le mouvement étudiant, il était ministre de l’Éducation. Ensuite, j’ai travaillé pour lui en 2000. Je n’étais pas un conseiller majeur, mais nos liens ont commencé là. « La dernière activité partisane qu’il a faite pour le Parti québécois, c’est en mai 2009, dans mon comté, à Matane. Déjà, il a un discours sur les vaches sacrées, les dogmes, les finances publiques. C’est moi qui le ramène à Québec en voiture et il me raconte pas mal la suite. J’ai le sentiment qu’il ne restera pas. Quelques semaines plus tard, il m’appelle d’avance pour me dire qu’il va quitter. » IL A GRAFIGNÉ TOUS LES JOURS VINCENT MARISSAL, EX-JOURNALISTE ET DÉPUTÉ DE QS « Legault, en politique, l’a eu facile pas mal tout le temps. On l’a recruté, on lui a donné un ministère sans qu’il soit élu, ils lui ont donné un comté sûr. Et quand ça n’a pas fait et qu’il s’est retrouvé dans l’opposition avec le PQ, il a sacré son camp. C’est représentatif du gars. Il n’est pas là pour faire autre chose qu’être ministre ou même premier ministre. « Quand il a fondé la CAQ, il s’est retrouvé dans l’opposition en 2012 et en 2014. Je me rappelle qu’il grafignait. Il n’aimait pas ça. Ça lui a pris 20 ans pour devenir premier ministre, mais il a grafigné tous les jours. » L’ATTAQUE DU PORC-ÉPIC ITALIEN LIONEL CARMANT, AMI, EX-VOISIN, DÉPUTÉ ET MINISTRE DE LA CAQ « Il m’a convaincu d’aller en politique par sa persévérance et sa persistance. Chaque fois que je rentrais chez moi et qu’il était sur sa terrasse en train de lire, il me disait que si je voulais vraiment changer les choses, il fallait que j’aille en politique. « Un des meilleurs moments que j’ai passé avec M. Legault, c’est lors d’un voyage avec nos familles en Italie. Je me suis fait crever un pneu de voiture par un porc-épic, en plein milieu de la Toscane. On ne savait pas quoi faire. Devinez qui a réussi à changer mon pneu ? Notre futur premier ministre, homme de tous les talents ! On en rigole encore ! » L’ORIGNAL ET LE JUGE SONIA LEBEL, DÉPUTÉE ET MINISTRE DE LA CAQ « En 2018, j’ai tué mon premier orignal. Je lui raconte tout ça, comme à une de mes chums, sans penser que ça sortirait. Mais François, si tu lui racontes quelque chose, il n’est pas fiable ! « À l’automne 2019, le premier ministre fait une allocution à l’ouverture des tribunaux judiciaires. Je suis alors ministre de la Justice. Je veux bien paraître avec les gens devant qui je plaidais. Il commence son discours, se met à parler de moi et dit : “Vous lui demanderez qu’elle vous conte sa chasse ! ” Et il part sur l’orignal et les détails. « Je suis en toge, entourée de juges ! Qui ne savent pas ça de moi. Et lui part sur l’anecdote de chasse ! Ça a bien passé. Mais à cause de ça, j’ai maintenant tendance à adoucir mes histoires. » UN VISAGE QUI PARLE LINDA GOUPIL, EX-DÉPUTÉE ET ANCIENNE MINISTRE DU PQ « Son non verbal est très parlant. Quand François est en désaccord, ça paraît sur son visage. Ma seule déception, j’aurais aimé qu’il ait l’ambition de devenir premier ministre d’un pays. Il en parle avec énormément de fierté, mais c’est comme si on n’allait pas au bout de cette fierté. « Je l’ai constaté lors de l’inauguration de la statue de M. Parizeau [en 2022]. J’ai senti, dans son visage, que les ambitions qu’il peut avoir pour le Québec sont encore plus grandes. Il fait de son mieux pour faire avancer le Québec, mais avec les limitations qu’on connaît. » ROMPRE UNE PROMESSE CHRISTIAN DUBÉ, DÉPUTÉ ET MINISTRE DE LA CAQ « Ça fait longtemps qu’il dit : “Ça me prend un médecin pour chaque Québécois”. C’était une promesse électorale depuis plusieurs années. Je suis allé le voir et lui ai dit : “On devrait accepter la proposition du Collège des médecins pour que la prise en charge se fasse par le groupe de médecine familiale (GMF) et non par le médecin luimême. Ça va à l’encontre de ce qu’on dit depuis des années, mais c’est la bonne chose à faire.” « Je m’en souviens, il m’a dit : “Je vais y penser”. Mais il me remettait la pression sur les épaules en me disant que c’était mieux de marcher. C’est une grande qualité qu’il a de pouvoir changer d’idée quand c’est pour le bien-être de la population. »

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