LaVoixdelEstSurMonOrdi.ca

Nutrition

L’ALIMENTATION INTUITIVE

KARINE GRAVEL De la culture des diètes à l’alimentation intuitive KO Éditions

Nutritionniste clinicienne, Karine Gravel s’est pour la première fois intéressée à l’alimentation intuitive pendant son doctorat, en 2010. Elle a depuis ancré cette approche bienveillante de l’assiette dans sa pratique. Elle en a mesuré les bienfaits. Et elle en a fait le coeur de son premier ouvrage: De la culture des diètes à l’alimentation intuitive, publié chez KO Éditions et bien garni en anecdotes, souvenirs, observations, analyses et données de toutes sortes. Entrevue à propos de cette approche positive qui préconise une autre façon de voir, loin, très loin de la balance et de la démonisation des calories.

Q Est-ce que l’idée d’écrire ce livre vous habitait depuis longtemps?

R Depuis quelques années, l’engouement que suscite l’alimentation intuitive est notable. La littérature scientifique se multiplie, il y a aussi un intérêt grandissant de la population, peut-être parce que les gens en ont assez des diètes amaigrissantes, justement. Je pourrais aussi dire que, personnellement, ce désir de remettre en question les diètes remonte à beaucoup plus loin dans le temps, parce que j’ai l’impression d’être née là-dedans, d’avoir grandi dans cette culture-là. J’en parle dans le livre : ma mère suivait des diètes lorsque j’étais jeune. Quand j’en parle avec elle, elle me raconte que tout le monde « comptait ses calories » dans ce temps-là, que c’était comme ça. Quand j’étais enfant, ça faisait tellement partie du quotidien que j’avais l’impression que toutes les mamans suivaient un régime. Alors quand j’ai découvert cette approche positive de l’alimentation, qui préconise un rapport sain avec la nourriture, ça a été une révélation pour moi, en quelque sorte.

Q Qu’est-ce que l’alimentation intuitive, justement ?

R C’est une solution de rechange aux diètes amaigrissantes, mais ce n’est pas une méthode de perte de poids. C’est vraiment autre chose, une approche de la nourriture qui est bienveillante. Plutôt que d’essayer de contrôler ce qu’on mange, notre corps ou notre poids, on est plus à l’écoute de nos besoins. On essaie de comprendre nos comportements alimentaires, mais sans les juger. Des fois, on a tendance à être sévères avec nous-mêmes, mais si on a des comportements comme des rages alimentaires ou si on n’écoute pas notre satiété, par exemple, il y a probablement des raisons sousjacentes et c’est ça qu’on essaie de comprendre et d’explorer. Dans l’alimentation intuitive, il y a aussi cette idée que chaque personne est experte de son corps et est la mieux placée pour déterminer ses besoins, ses préférences, ses envies. Ce n’est pas quelqu’un qui lui dit quoi faire ou qui lui prescrit une seule bonne façon de faire les choses. L’objectif, c’est d’améliorer son rapport avec la nourriture et son corps. Le but n’étant pas de maigrir, mais de se sentir bien.

Q Vous employez l’adjectif grosse, dans votre livre. Le choix des mots était important?

R Le mot grosse est souvent perçu de façon négative lorsqu’on parle d’une personne, mais quand il est utilisé pour une auto, une maison ou une transaction financière, c’est au contraire vu comme merveilleux et positif. Or, plusieurs personnes grosses préfèrent ce terme à celui d’obèse ou d’embonpoint, parce que ceux-ci réfèrent à l’indice de masse corporelle, une mesure qui vient avec beaucoup de bémols. On peut laisser ça aux études et au milieu médical ; pour

nous, au quotidien, ce n’est pas très pertinent d’être ainsi catégorisé selon son poids. Et on ne peut pas juger de la santé des gens à partir de leur poids.

Q Le thème de la culpabilité revient à quelques reprises au fil des pages...

R

Oui, j’ai même tout un chapitre là-dessus parce qu’on apprend à se sentir coupables lorsqu’on suit des diètes. À court terme, un régime, ça peut aller, mais après, ça se gâte. Des fois, c’est trop rigide ou trop restrictif, ça nous amène à « tricher ». Automatiquement, on se sent coupables. On veut bien faire, mais ce qu’on s’impose va nous amener à nous sentir coupables (...). La pression de la perte de poids et de la minceur est très forte. On ne mange jamais le bon aliment ni la bonne quantité, on est toujours en train de se questionner, de se demander si c’est correct ou pas : ça met beaucoup de pression ! Il y a une étude, que je cite dans le livre, qui démontrait que les femmes au régime se sentaient coupables à 100 pour cent lors des repas et des collations de toute une semaine. Autrement dit, peu importe dans quoi elles piquaient leur fourchette, ce n’était jamais correct ! C’est difficile de manger de cette façon-là, parce qu’on met tout le plaisir de côté.

Q Le plaisir autour de la table, c’est quand même une clé importante, non ?

autant de plaisir que si je mange lorsque je suis en appétit et que je consomme les aliments que j’ai envie de manger. La nourriture doit nous apporter une certaine satisfaction. Si, comme c’est souvent le cas dans une diète, tout est déterminé d’avance, les quantités comme les aliments, et qu’on n’a pas de spontanéité, on perd une partie du plaisir et on va peut-être chercher à manger encore ensuite pour ressentir une certaine satisfaction. On peut penser que si on a du plaisir à manger, on va avoir tendance à abuser, mais en réalité, ce n’est vraiment pas ce qu’on constate, ni dans les études ni en clinique. Quand on apprend à s’écouter et à ne pas avoir d’aliments interdits, le plaisir de manger est vraiment aidant.

Q Au chapitre de la tyrannie de la minceur à tout prix, on blâmait auparavant les magazines et leurs publicités sur papier glacé. Maintenant, on pointe souvent les médias sociaux et les photos retouchées qui tapissent Instagram. Est-ce qu’on a raison?

R

Pour se distancer de la culture des diètes, je conseille souvent aux gens de faire le ménage de leurs médias sociaux. Si on suit les comptes de personnes avec des corps constamment retouchés ou des groupes de pertes de poids, à tout instant, ça nous met cette pression-là sous les yeux. Des fois, on critique Instagram, mais en même temps, c’est un média où il y a aussi plusieurs comptes qui montrent la diversité corporelle. On est exposé à ce à quoi on est abonnés, de là mon idée de faire le ménage. Pour plusieurs de mes clients et clientes, c’est un espace intéressant si on suit des comptes qui favorisent la diversité, qui vont dénoncer la grossophobie ou montrer des corps différents.

Q Vous parlez de la culture des diètes dans laquelle vous avez grandi. Avez-vous l’impression que les choses évoluent?

R

Quand une chose est ancrée dans une culture, c’est sournois, parce que, étant donné qu’on fait partie de cette culture, on ne se rend pas compte de tout ce qui la teinte. J’ai quand même l’impression qu’il y a un grand mouvement où cet impératif de la minceur est remis en question. L’alimentation intuitive n’est pas une recette miracle, mais c’est une vision qui rejette cette culture des diètes. Tout faire en fonction de maigrir tout le temps, ça commande énormément d’énergie, et parfois, en plus, ce n’est pas du tout réaliste. Après ça, l’idée derrière mon livre, ce n’est pas de dire quoi faire aux gens, mais de leur montrer d’autres options.

Q Est-ce qu’adopter l’alimentation intuitive commande un certain engagement?

R

Ça demande un certain travail, oui, une certaine introspection, aussi, mais en même temps, ce qu’on apprend sur nous, on n’aura pas à le réapprendre dans six mois, ce ne sera pas à recommencer deux fois par année. On adhère à cette approche à notre rythme, on se sent mieux et c’est plus durable. Quand on regarde les statistiques au chapitre des diètes amaigrissantes, c’est saisissant : au Québec, presque une femme sur deux fait au moins deux tentatives de perte de poids par année. C’est cyclique, c’est à recommencer. Et les données montrent que plus on fait des essais, plus le temps passe avec ces différentes diètes, plus ça augmente l’insatisfaction corporelle et que ça diminue l’estime de soi. Il y a des conséquences psychologiques à tout ça. Se retrouver constamment dans le contrôle, la perte de contrôle, la culpabilité, c’est négatif et ça occupe beaucoup les pensées. Si toute cette énergie à vouloir maigrir, si on la mettait ailleurs, ce serait vraiment l’fun.

Questions, commentaires, suggestions ? Écrivez-moi : karine.tremblay@latribune.qc.ca

Suivez-moi sur Instagram: karine.encuisine

LEMAG.

fr-ca

2021-09-18T07:00:00.0000000Z

2021-09-18T07:00:00.0000000Z

https://lavoixdelest.pressreader.com/article/282930978496052

Groupe Capitales Media