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La Tourette n’aura pas le dernier mot

MYLÈNE MOISAN CHRONIQUE mmoisan@lesoleil.com

Petit, Dominique Moisan a tout essayé pour neutraliser les tics et les spasmes qui traversaient son corps, et les sons qui sortaient de sa bouche. « Des fois, je mordais le bord d’un verre. Et des fois, le bord du verre cassait. »

Les tics, c’est plus fort que lui. C’est à cause du syndrome Gilles de la Tourette, qui provoque chez lui une foule de comportements spontanés sur lesquels il n’a aucun contrôle. Il a reçu son diagnostic à sept ans. « Jusqu’à la maternelle, ce n’était pas trop pire. Mais à partir du primaire, ça a été l’enfer. »

L’enfer, oui, mais pas juste à cause de celle qu’il appelle « ma Tourette ». L’enfer de l’intimidation. « Les autres élèves dans la classe faisaient tellement de trucs méchants, c’était tout le temps, c’était incalculable. Je me faisais lancer des bouts d’efface, ils me disaient : “arrête donc, tu gosses”! »

Ce n’était pas seulement les élèves. « En cinquième année, la prof, ça la dérangeait trop pendant qu’elle enseignait, alors elle m’a mis dans le corridor et je devais écouter le cours au travers de la porte. Les directeurs et les directrices rencontraient toujours ma mère, ils lui demandaient si ça pouvait arrêter. »

Sa mère élevait seule ses deux fils, un directeur lui a dit, le plus sérieusement du monde, « me semble que ça serait bon, un homme à la maison ».

Un pédopsychiatre a même fait hospitaliser Dominique. « C’était à l’Hôtel-Dieu de Lévis, c’était dans un sous-sol, je n’avais pas le droit de sortir. Mes cours étaient là-dedans, avec des délinquants, avec des schizophrènes. Ce n’était pas du tout adapté pour moi, c’était comme une prison. »

Il y est resté une couple de semaines. « Quand je suis sorti, ma mère et moi on s’est collés pendant cinq minutes. J’avais tellement eu peur. »

À l’école, c’était toujours la catastrophe, sa mère devait souvent venir chercher son Dominique pendant la journée quand elle ne se faisait pas carrément dire de s’en trouver une autre. « J’ai fait tellement d’écoles, je me faisais toujours mettre dehors. » Il a abouti à l’école Saint-François où se retrouvent les élèves avec les troubles de comportements les plus lourds. « Là, ça a été vraiment

La bonne nouvelle, c’est que le syndrome Gilles de la Tourette s’atténue avec les années

épouvantable, les jeunes étaient encore pires, ils se concentraient à m’écoeurer. »

Du genre « je vais te défoncer après l’école ».

Pendant que les médecins essayaient toutes sortes de pilules, Dominique tentait de toutes ses forces de contrôler ses tics, ses spasmes et les sons qui sortaient de sa bouche, il essayait aussi de ne pas toucher les gens. Rien n’y faisait. « Chaque matin, je ne savais jamais ce qu’allait être ma journée, c’était du stress non-stop, des pleurs. Il y a des fois où je ne voulais pas aller à l’école. »

Et le stress, c’est du gaz à Tourette.

Mais parfois, au travers du lot d’insultes, au travers du barrage de méchanceté, perçait un regard bienveillant. Le premier, c’était Pierre-Luc en cinquième année, qui a vu au-delà de la Tourette, qui a vu en Dominique un ami. « Les deux, on adorait le sport, on s’amusait au ballon prisonnier. Je le vois encore aujourd’hui. »

Il y en a eu quelques autres au

fil des années. « Pour une classe de 16 élèves par exemple, il y en avait 14 qui ne m’acceptaient pas. Les deux ou trois autres jouaient avec moi à la récréation, certains me défendaient. » Des amitiés qui ont été pour lui autant de bouées de sauvetage.

Des amitiés qui durent encore.

Et sa mère, évidemment, qui s’est fendue en quatre pour aider son gars du mieux qu’elle le pouvait. « Elle a rushé, ma mère, ça a été très dur pour elle. Elle essayait de trouver des façons pour me relaxer, elle me peignait les cheveux doucement, elle me lisait des histoires. Elle lisait beaucoup pour trouver des solutions. »

Son entrée sur le marché du travail a été aussi un champ de mines où ses tics agissaient comme détonateur. « J’ai fait plein de jobines. J’ai travaillé à la caisse dans une épicerie, il y a des clients qui se sont plaints de mes tics et j’ai perdu ma

job. La même chose est arrivée dans un magasin de linge. »

Il s’est donc tourné par dépit vers un métier solitaire, concierge, les moppes le laissaient tranquille. Il a fait ça pendant cinq ans, dans des écoles surtout. « C’était la seule chose que je pouvais faire, mais je détestais ma vie. »

Puis, un jour, il a croisé un ami.

-Allô, Steven, qu’est-ce que tu fais de bon?

-Je suis préposé aux bénéficiaires dans une petite résidence.

-Tu aimes ça?

-Oui.

-Est-ce que je pourrais aller voir c’est quoi? C’est comme ça que Dominique est allé faire un tour pour savoir c’est quoi être un préposé aux bénéficiaires. « J’ai aimé ça. » Il a eu le goût de faire la même chose, de prendre soin des autres. Il a terminé son secondaire aux adultes et s’est inscrit à la formation pour devenir préposé « le cours complet », pas la formation accélérée. « Ça m’a pris un an pour faire le cours, j’ai tout réussi, tous mes examens, tout. »

Pour Dominique, c’est un exploit en soi. « J’ai vu que je pouvais être motivé, rester concentré. Que je pouvais réussir. » Et la bonne nouvelle, c’est que le syndrome Gilles de la Tourette s’atténue avec les années.

Depuis trois mois, il travaille comme préposé dans un CHSLD de Lévis. Et il aime ça. « Je fais mes petites affaires, je suis là pour mon patient, je m’occupe de lui et je rapporte à l’infirmière ce qu’elle doit savoir. » Et les tics? « Il y a des patients qui me demandent qu’est-ce que j’ai, je leur dis, mais je dois souvent répéter! »

À 27 ans, il a enfin le sentiment d’être arrivé quelque part. C’est Francine, sa mère, qui m’a envoyé un message pour me parler de lui, le titre de son courriel était « un exemple de ténacité ». Ça m’a fait penser à cette série de livres pour enfants que j’ai lus, où on présentait en modèles des gens célèbres.

La ténacité, c’était Maurice Richard.

Ça aurait pu être Dominique.

CARRIÈRES

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2021-09-18T07:00:00.0000000Z

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