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RAMENER L’HUMAIN AU COEUR DE L’HISTOIRE

LÉA HARVEY lharvey@lesoleil.com

Devant le débat «qui devenait de plus en plus violent» et le «peu de place [laissé] aux échanges courtois», Dany Laferrière s’est dit qu’il était important de rappeler que le racisme est avant tout «une douleur humaine» et non pas «une conversation de salon». Dans son Petit traité sur le racisme, l’écrivain plonge au coeur de l’actualité des États-Unis pour mieux en raconter l’histoire, de George Floyd à Harriet Tubman.

Voilà un grand sujet qu’embrasse donc Dany Laferrière. S’il est lié aux événements des dernières années, son ouvrage n’a pas été rédigé à chaud, affirme toutefois d’entrée de jeu l’homme de lettres.

«Les livres cheminent lentement en moi. La question du racisme est une constante dans la littérature. Seulement je ne l’aborde pas sur un plan idéologique ni pour répondre à des provocations», explique l’écrivain, qui célèbre cette année ses 35 ans de métier.

Son livre s’ouvre ainsi avec de courts textes dans lesquels il a mélangé «un style littéraire à l’argumentation lapidaire du pamphlet». Ceux-ci portent notamment sur le décès de George Floyd et la controverse autour du «mot en n» ou encore rappellent la forme que prend la discrimination raciale d’hier à aujourd’hui.

Les 224 pages de l’essai sont aussi ponctuées de portraits ou de réflexions à propos de politiciens, d’artistes et d’intellectuels importants tels que la militante Harriet Tubman, le photographe James Van Der Zee, la romancière Toni Morrison, l’écrivaine Maya Angelou, le rappeur Tupac Shakur, la chanteuse Bessie Smith et plusieurs autres.

Pour l’Académicien, il n’était pas question ici de parler du passé des Américains en général, mais bien de faire apparaître, au coeur de son ouvrage, «l’historique de ce phénomène terrifiant qu’est l’esclavage qui s’est converti plus tard en une version plus moderne, le racisme».

«Les États-Unis sont le seul pays où l’esclavage s’est pratiqué sur le sol. Les autres avaient des colonies très loin de leur métropole. Ce qui fait qu’il y a parfois une perte de traces historiques. Les États-Unis vivent toujours avec les anciens esclaves, ils se regardent chaque matin dans les yeux», affirme Dany Laferrière.

L’écrivain a ainsi souhaité mettre en lumière la «violence du racisme» et ses blessures qui «meurtrissent» et «avilissent l’être humain».

«Il s’agit d’une guerre où des gens meurent chaque jour, dans des circonstances effroyables, dans les rues du plus puissant pays du monde», déplore l’auteur de Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit?

«Ce n’est pas le mot qu’il faut traquer. Si vous continuez à traquer le mot, quand allez-vous traquer le » mal que ce mot fait? — Dany Laferrière

POUR LES JEUNES

En entrevue au Soleil, Dany Laferrière admet viser, avec son nouveau livre, les jeunes de 16 à 35 ans, ce «public dynamique», qui est souvent très touché par les notions de justice et de liberté. Pas parce que ces enjeux ne concernent qu’eux, mais parce qu’il est important, selon lui, qu’ils comprennent d’où proviennent ces blessures qui déchirent encore aujourd’hui l’Amérique. Pour qu’ils sachent qui, avant eux, ont fait avancer les choses.

«Ils ont été élevés dans l’idée que, s’ils ne sont pas racistes, ils n’ont pas à s’intéresser à ce problème. […] Ils pourraient laisser passer ça en pensant : “Ah c’est une affaire de vieux mononcles un peu attardés. C’est ridicule, être raciste”. Moi, je leur dis : “Écoutez, si vous n’êtes pas informés, vous risquez de devenir le futur vieux mononcle”», estime-t-il, définissant ce fameux personnage comme «quelqu’un qui fait l’effort de participer et de rentrer dans la discussion, mais qui, n’étant pas assez au fait, n’accumule que des bêtises».

S’il est nécessaire de connaître le passé, on ne doit pas non plus laisser s’effacer les événements des derniers mois, insiste le sexagénaire, pour qui l’inexistence de Donald Trump, sur la scène publique et dans les médias, fait craindre le pire, soit une amnésie générale.

«Trump n’est plus président, mais le système, lui, est toujours là», souligne-t-il, citant notamment les trois juges qu’il a nommés à la Cour suprême.

MOUVEMENT CIRCULAIRE

Au cours des trois dernières décennies, Dany Laferrière a rédigé plus d’une trentaine de livres. Les violences raciales reviennent régulièrement dans son oeuvre. Mais n’est-on pas fatigué de devoir, encore en 2021, écrire sur ces enjeux?

«Les choses avancent, mais pas tout le temps de façon linéaire», répond-il.

Pour lui, le mouvement de la société est souvent circulaire. Chaque génération a ses défis auxquels elle doit faire face. L’important, selon lui, est de surveiller les dangers et de les nommer lorsqu’ils se présentent.

«Le problème, ce n’est pas que les choses reviennent, c’est qu’elles reviendront encore avec plus de violence si nous ne sommes pas alertes», souligne l’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer.

On retrouvera Petit traité sur le racisme sur les tablettes des librairies dès le 15 juin.

LECTURE

fr-ca

2021-06-12T07:00:00.0000000Z

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https://lavoixdelest.pressreader.com/article/282488596673567

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