LaVoixdelEstSurMonOrdi.ca

Une ville née d’une guerre d’influence

CYNTHIA LAFLAMME cynthia.laflamme@lavoixdelest.ca

La Ville de Lac-Brome a vu le jour il y a 50 ans avec pour objectif de protéger ses frontières et son lac contre Bromont, qui tentait de se frayer un couloir vers le plan d’eau. Peter White, l’instigateur de cette fusion du Canton de Brome, de Foster et de Knowlton, raconte.

Le 11 janvier 1971 se tenait la première séance du conseil municipal de Lac-Brome, présidé par le maire Lester L. Mizener. Les premières décisions sont prises et il a été convenu que la séance mensuelle se tiendrait le premier lundi du mois. C’est encore le cas aujourd’hui. Il s’agissait d’un premier pas vers un grand avenir.

L’union des trois villages s’est faite plutôt facilement, mais il ne résulte pas d’un élément déclencheur positif. Cofondateur de Bromont avec son frère Germain, Roland Désourdy aurait manigancé pour se frayer un chemin vers le lac Brome. Il voulait un accès pour alimenter en eau Bromont et sa future station de ski, mais aussi y construire un site de villégiature.

Alors maire de Cowansville, Roland Désourdy a fait du démarchage auprès d’agriculteurs du Canton de Brome pour qu’ils demandent à Québec de changer de municipalité pour intégrer Bromont. Selon Peter White, Cowansville avait les mêmes visées. Une information corroborée par la Société d’histoire de Cowansville.

«Petit à petit, il a commencé à englober des morceaux de Brome Township (Canton de Brome), raconte celui qui occupe aujourd’hui la présidence de la Société historique du comté de Brome. Ça prenait simplement une pétition des gens intéressés. Roland envoyait son mandataire pour voir les agriculteurs pour leur offrir 1000 $ et une option d’achat sur leurs terrains. Les agriculteurs n’avaient jamais vu 1000 $ de leur vie. Roland n’avait pas l’intention d’acheter les terres, mais il mettait une condition qui était de signer la pétition à Québec pour faire partie de Bromont.»

Homme d’affaires influent, M. Désourdy connaissait bien les rouages de la politique provinciale.

13 CULTIVATEURS

Le Canton de Brome était un vaste territoire en grande majorité agricole. Quelques petits hameaux ont été construits avec l’arrivée de villageois, soit East Hill, West Brome, Iron Hill, Bondville et Fulford.

M. White rapporte que 13 agriculteurs ont accepté, en quelque trois années, la proposition de M. Désourdy. C’est alors que le Canton de Brome a réalisé à quel point la perte de ces payeurs de taxes avait un impact sur son budget municipal.

«Ils ne s’apercevaient pas de la stratégie fondamentale des Désourdy. Ils se disaient que c’était juste quelques agriculteurs. À un moment donné, c’était rendu tellement évident qu’ils se sont réveillés.»

TROIS GRANDES MOTIVATIONS

«Je savais fort bien ce que Roland essayait de faire», se souvient M. White, qui habitait alors Foster. Les agriculteurs rencontrés et séduits par M. Désourdy lui permettaient de former tranquillement, mais sûrement un corridor direct vers le lac.

«Bromont s’était porté acquéreur du barrage qui contrôle le niveau de l’eau du lac. Ils l’ont acheté sous le nez de Foster. Puis Bromont a commencé à dire : «c’est nous qui contrôlons le niveau du lac, alors donnez-nous accès au lac.»»

Préoccupé, Peter White a commencé à rencontrer discrètement les agriculteurs du Canton de Brome et des citoyens des trois villages, mais aussi les élus de chaque entité. Il a également proposé la fusion aux villages de Brome et de Bolton-Ouest. Ceux-ci n’étaient pas menacés par les désirs d’expansion des Désourdys et ont refusé.

À ce moment-là, Peter White était gestionnaire de la Brome County Rural Development Association ainsi que membre de l’Association de conservation du lac Brome. Trois grandes motivations teintaient ses démarches : «l’invasion des Désourdy ; le besoin de protéger le lac parce que lorsque les rives du lac étaient divisées en trois municipalités, il n’y avait pas de coordination ni de traitement des eaux usées et la qualité de l’eau en souffrait ; et une ville a beaucoup plus de pouvoir qu’un village, alors on voulait aller chercher le statut de ville pour pouvoir résister à Bromont et Cowansville.»

Même s’il se faisait discret, ses démarches sont venues aux oreilles de Roland Désourdy.

Une guerre a éclaté à la frontière de Bromont et du Canton de Brome, raconte M. White, entre deux équipes de lobbyisme pour approcher les fermiers locaux.

Lui-même a engagé l’activiste de Granby James Walter Wathen Brack et, ensemble, ils ont réussi à tourner l’opinion du secteur en leur faveur.

Roland Désourdy a tenté de contrer les plans de son rival jusqu’au dernier moment.

Après avoir obtenu un vote unanimement favorable à la création de Lac-Brome — un nom choisi à la suite d’un concours —, Peter White a organisé une rencontre cruciale à Knowlton avec les maires et les secrétaires-trésoriers des trois villages. Le conseil municipal de Knowlton était réuni pour l’occasion.

JUSQU’AU DERNIER MOMENT

Roland Désourdy s’y est invité sans s’être annoncé.

L’instigateur de la fusion relate que M. Désourdy est entré avec son aura charismatique et a demandé au conseil un mot en privé, sans que M. White soit présent. Durant la joute verbale qui a suivi, ce dernier a réussi à convaincre les élus de ne pas accepter la demande du maire de Cowansville puisqu’il tenterait de les séduire et de réorienter leur décision.

«Roland n’a pu que s’assoir et regarder le conseil de Knowlton voter en faveur de la fusion.» Un seul conseiller de Knowlton s’est prononcé contre la proposition, soit Roméo Brouillette. M. White ne lui a jamais demandé pourquoi il s’était opposé à l’annexion.

«Dans la guerre des frontières, c’était les anglophones contre les francophones. Ça a été une grande bataille.»

Quant à Roland Désourdy, il n’a eu d’autre choix que de se résigner. Des années plus tard, les deux hommes se sont croisés dans un grand concours équestre.

«Je lui ai rappelé un conseil qu’il m’avait donné dans les années 1960 : un homme doit d’abord s’occuper de soi-même, ensuite de sa famille, ensuite de sa ville ou sa paroisse, ensuite de sa province, et enfin de son pays. Il s’en souvenait. On n’a pas parlé de nos batailles.»

«UN TRÈS GRAND SUCCÈS»

«Je suis l’instigateur de la fusion, ça ne serait pas arrivé sans moi, mais je ne suis pas le fondateur. [...] C’est une des plus grandes réussites de ma vie. La ville est un très grand succès, elle est l’une des plus riches de notre région.»

Les agriculteurs qui avaient changé d’adresse ont vite regretté puisque leur compte de taxes avait grimpé. Certains ont pu retirer leur pétition juste à temps, mais pour plusieurs il était trop tard. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui la frontière Est de Bromont est en dents de scie.

Lac-Brome a également réussi à récupérer le barrage en 1986. La transaction était conditionnelle à ce que la Ville fournisse un certain volume d’eau à Bromont en été.

Pour la protection de la qualité de l’eau, l’une des préoccupations derrière les démarches d’annexion des trois villages, la Ville de Lac-Brome a construit des infrastructures souterraines afin que les eaux usées des riverains ne soient plus rejetées dans le plan d’eau.

Peter White a pour sa part intégré le premier conseil municipal de Lac-Brome après la démission du conseiller de Foster.

ACTUALITÉS

fr-ca

2021-06-12T07:00:00.0000000Z

2021-06-12T07:00:00.0000000Z

https://lavoixdelest.pressreader.com/article/281638193148959

Groupe Capitales Media