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La fourmi pourra danser

MARIE-ÈVE MARTEL marie-eve.martel@lavoixdelest.ca

Nos finissants auront finalement droit à leur bal, dès le 8 juillet, a annoncé mardi le premier ministre Legault. Exit les salles de réception décorées avec goût, pandémie oblige.

Cendrillon pourra aller au bal, mais sous un chapiteau extérieur. On lui souhaite du beau temps.

Je trouvais ça facile, quand on est adulte, de dire qu’il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. Avec des années, voire des décennies de recul et d’expérience, un bal de finissants du secondaire peut nous paraître accessoire et on sait qu’il est loin d’être le moment le plus crucial de notre vie. On peut aussi se dire que ceux qui en seront privés, pandémie oblige, s’en remettront et que cela n’influencera pas le reste de leur existence.

Il y a déjà des jeunes qui sont de cet avis et pour qui l’annulation de cette fête de fin d’année n’a fait ni chaud ni froid.

Mais pour d’autres, qui cumulent à peine 16 ou 17 années de vie, cet événement peut aisément représenter l’apogée de leur courte existence.

Cette image idéalisée du bal de finissants digne d’un conte de fées est imprégnée très tôt dans leur esprit, car cette célébration s’inscrit dans notre culture, très inspirée de celle de nos voisins du Sud, où cette fameuse prom est romancée au point d’être perçue comme la quintessence de l’adolescence.

Certains jeunes, particulièrement les filles, rêvent de leur bal dès leur entrée au secondaire. C’est leur moment de gloire, le jour où elles seront une princesse dans une magnifique robe et où elles pourront peut-être danser avec leur prince charmant...

Personnellement, j’ai très peu de souvenirs de mon bal de finissants du secondaire, au sens propre comme au figuré.

En effet, au lendemain de cette soirée fort glamour tenue dans un hôtel chic de la Capitale-Nationale, mon père, photographe désigné de ma soirée à laquelle il avait pris part avec le groupe de professeurs, a eu la maladresse d’effacer tous les clichés de la veille de son nouvel appareil photo numérique — nous sommes en 2004, je précise — en voulant vérifier si la résolution des images était assez bonne pour en permettre l’impression. Pour ce faire, il était allé dans l’onglet « Format » de sa caméra à la configuration anglaise.

« Format », comme dans formater.

Zappées dans l’espace, mes photos de bal!

Je ne me rappelle pas qui de nous deux a le plus pleuré quand on a réalisé ce qui venait de se produire...

Sinon, ce soir-là, j’ai aussi le souvenir d’avoir brisé la fermeture éclair de ma longue jupe et j’ai dansé mon premier slow. Je m’en rappelle, c’était sur la chanson My Immortal, du groupe Evanescence.

Pas trop romantique, quand on s’attarde aux paroles. M’enfin...

Mon amoureux de l’époque s’était fait imposer un couvrefeu assez strict par ses parents. Comme il devait être rentré avant minuit, j’en ai déduit qu’il allait se transformer en citrouille s’il avait du retard.

Mon bal n’a rien eu d’un conte de fées, il n’a pas changé ma vie, mais je suis contente d’y être allée.

Par ailleurs, même si le fait d’avoir un diplôme d’études secondaires est aujourd’hui considéré comme une qualification de base, parfois même insuffisante pour progresser sur l’échiquier du jeu de la vie, il relève, pour certains jeunes, de l’exploit, surtout en cette année qui n’a rien d’ordinaire.

Le bal symbolise l’aboutissement d’années d’efforts, d’échecs, d’obstacles et de frustrations. Pour certains de ces jeunes, le bal de finissants incarne un facteur de motivation important, parfois même le plus important, qui les encourage à compléter leur parcours scolaire.

Certes, l’annonce arrive à la dernière minute et il sera probablement difficile d’organiser une fête digne de ce nom à si peu de préavis.

Mais peu importe la forme que prendra l’événement, ces ados qui ont travaillé comme de véritables fourmis méritent de voir cet accomplissement célébré.

L’interdiction de tenir des bals de finissants, alors que pratiquement toute la province retourne au jaune, voire au vert, ne faisait pas de sens. Certes, les rassemblements autorisés sont de moindre ampleur, mais je crois que de permettre la tenue des bals sous des chapiteaux extérieurs est un bon compromis.

Je n’aurais peut-être pas tenu le même discours il y a deux ou trois semaines, quand les premiers signes d’assouplissement ont donné lieu à des rassemblements et des débordements « d’enthousiasme » dans certains parcs, comme à Québec ou à Montréal. Certains ont interprété ce feu vert — très pâle — comme une invitation à faire fi de toute distanciation sociale, mais aussi de civisme, à voir les déchets qu’ils ont laissé derrière eux.

Donnez-leur un pouce et ils voudront un pied, dit l’adage. Le déconfinement graduel a pour objectif de nous rendre nos libertés si chèrement restreintes au cours de la dernière année et demie sans qu’on compromette nos chances de retourner à une vie normale à court et moyen terme.

Mais pour y parvenir, il faut retenir encore un peu la cigale qui s’impatiente.

CHRONIQUES

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2021-06-12T07:00:00.0000000Z

2021-06-12T07:00:00.0000000Z

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